Les photos de tortures et de sévices prises par des soldats américains de prisonniers irakiens à Abou Ghraib, en Irak, ont été au coeur des débats jeudi de Visa pour l'image, rendez-vous international du photojournalisme à Perpignan.

Un colloque au Palais des Congrès s'est posé la question de "la disparition du photojournaliste?" et s'est interrogé sur la place du photojournaliste "lorsque déferlent dans la presse sur les écrans de télévision et d'ordinateurs des photographies réalisées sans la médiation d'un travail et d'une éthique?".

Pour Jean-François Leroy, directeur du Festival, ces documents d'amateurs révélés au public en avril sont les "plus importants de l'année" et il a souhaité en projeter samedi en soirée.

Pour l'historien Jean-Jacques Fouché, modérateur de la table ronde, ces photos sont "l'événement de l'année", tout en rappelant les précédents témoignages en images de tortures durant la Seconde guerre mondiale ou la guerre d'Algérie.

Des précédents existent, a-t-il rappelé, tels ces témoignages en images réalisées par des soldats de la Wehrmacht en 1941-1944 de massacres en Biélorussie et Ukraine. "Ces photos ont été connues il y a dix ans" et ont suscité un grand débat en Allemagne. L'autre exemple connu est celui de la guerre d'Algérie, avec des photos de soldats.

"Aujourd'hui, ces photos sont produites en une seconde, envoyées en quelques secondes et sortent au bout de trois mois. C'est une révolution technique", a-t-il estimé.

Pour Dominique Wolton, "on ne peut plus rien cacher longtemps, les actes barbares, on les voit très vite". Pour lui, cette "reproduction mondiale, rapide et gratuite", par rapport à la première guerre du Golfe, prouve qu'il y a "augmentation de la conscience politique des journalistes".

Rappelant que les premières photos sortent le 28 avril, et que cinq mois après, "la cause est entendue", M. Wolton estime que "pour une fois, la mondialisation de l'information a eu un effet positif: une accélération de la conscience critique".

Pour le photographe Patrick Bard, le fait que ces photos soient publiées est aussi un "apport essentiel au débat démocratique". "Ces photos sont publiées et on va en débattre. Il n'y a pas d'autre façon de combattre l'arbitraire que d'établir des preuves irréfutables de l'arbitraire lui-même", a-t-il estimé.

L'universitaire et spécialiste en communication Nicolas Pélissier (Nice) considère que depuis le "charnier" de Timisoara (Roumanie), la prise de conscience critique des rédactions vis-à vis des images produites par des non-professionnels a augmenté. Au-delà de ce constat de prudence, cependant, les professionnels accordent de plus en plus d'importance à des images prises par des non-professionnels, "les médias n'étant plus des sources premières mais devenant des sources secondes. Ceci génère une mise en concurrence".

Pour lui, "ces images d'amateurs détiennent en elles un potentiel de charge émotionnelle, affective et un potentiel esthétique bien supérieur aux images standardisées des banques de données ou agences internationales".

Maria Mann (Corbis) a parlé de sa "honte en tant qu'être humain et américaine" et Jamie Wellford, responsable photo à Newsweek, a évoqué le "grand choc reçu".

Résumant le sentiment général, Patrick Bard a relevé que "ces photos sont des documents, essentiels, mais ne relèvent pas du photojournalisme et nous parlent autant des actes barbares qui ont été commis que de ceux qui les ont commis".

Jeudi 2 septembre 2004, AFP.